À travers l’Afrique, des rues animées de Lagos au cœur vibrant de Nairobi, de la brise côtière d’Accra au rythme dynamique de Johannesburg, les conférences sur l’énergie se multiplient. Les grandes salles se remplissent de délégués, les PowerPoint défilent, et les objectifs ambitieux sont annoncés en grande pompe. Pourtant, plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans électricité, et de nombreuses communautés restent dans l’obscurité dès le coucher du soleil.
Ce décalage est criant et profondément préoccupant. L’Afrique n’a pas besoin de conférences à répétition ; elle a besoin d’actions concrètes qui répondent réellement aux besoins énergétiques de sa population, en valorisant notamment ses abondantes ressources en hydrocarbures – et en particulier le gaz naturel.

La réalité rude derrière les chiffres

Les statistiques dressent un tableau accablant. Malgré des réserves significatives de gaz naturel, l’Afrique ne représente que moins de 3 % de la consommation mondiale d’électricité, alors qu’elle regroupe 17 % de la population mondiale. Dans de nombreux pays, les taux d’électrification en milieu rural ne dépassent pas 20 %, impactant des domaines essentiels comme la santé et l’éducation.
L’Afrique centrale est particulièrement touchée, avec certains des taux d’électrification les plus bas au monde. Des pays comme le Tchad, la République centrafricaine et certaines régions de la République démocratique du Congo affichent un taux national inférieur à 15 %, en dépit de ressources énergétiques abondantes, notamment en gaz naturel.
Imaginez des cliniques rurales en Tanzanie sans réfrigération fiable pour les vaccins vitaux. Des enfants dans le nord du Ghana étudiant sous des lampes à kérosène vacillantes bien après la tombée de la nuit. Des communautés entières au Tchad ou en RCA contraintes de recourir au bois comme source d’énergie de base, subissant des coupures fréquentes même à proximité de champs gaziers potentiels. Des petites entreprises dans le Sahel fermant leurs portes au coucher du soleil, freinant leur croissance et leur prospérité. Ce ne sont pas des défis politiques abstraits, mais des réalités quotidiennes qui freinent le développement humain et l’industrialisation.

Ce dont l’Afrique a réellement besoin : libérer la puissance du gaz

Un leadership centré sur les populations
L’Afrique a besoin de dirigeants empathiques qui considèrent l’accès à l’énergie non comme un luxe éloigné, mais comme un droit fondamental et une condition du développement économique. Cela signifie prioriser les projets énergétiques qui servent directement les communautés locales et stimulent la croissance industrielle, plutôt que de se concentrer uniquement sur des méga-projets d’exportation qui génèrent des revenus mais ne profitent pas aux populations locales.
Exploiter le gaz naturel pour l’industrialisation et le secteur minier
Le véritable potentiel des réserves de gaz naturel de l’Afrique réside dans leur capacité à catalyser une industrialisation généralisée et renforcer le secteur minier. De nombreux pays enclavés utilisent actuellement d’importantes quantités de diesel coûteux pour alimenter leur industrie, générant à la fois un fardeau économique et environnemental. Cette dépendance à l’énergie importée épuise les réserves de devises et renchérit les coûts de production, rendant l’industrie africaine moins compétitive à l’échelle mondiale.
Pensez à Douala au Cameroun, où la rationnement du gaz pousse les entreprises à utiliser un diesel coûteux, fragilisant leur compétitivité et augmentant les émissions. L’accès au gaz naturel bon marché et fiable représenterait un changement radical : énergie stable, moins chère, réduction des coûts d’exploitation et stimulation de la valeur ajoutée locale.
Dans le secteur minier, le gaz naturel offre une solution cruciale pour les sites isolés sans connexion au réseau électrique. Il permet aux compagnies minières d’éviter la volatilité financière liée aux prix du diesel ou du fioul lourd, tout en réduisant leur empreinte environnementale. Ce passage au gaz peut également créer des emplois locaux et soutenir l’économie régionale. Le Integrated Resource Plan (IRP) de l’Afrique du Sud reconnaît ainsi le rôle stratégique du gaz naturel dans ses besoins énergétiques pour l’industrie minière.
Une véritable collaboration régionale : vers une Afrique interconnectée
Les ressources énergétiques, notamment le gaz naturel, sont distribuées de façon inégale à travers le continent. Le Nigeria possède d’immenses réserves pouvant alimenter l’électricité et l’activité industrielle en Afrique de l’Ouest. Le Mozambique et la Tanzanie détiennent des découvertes gazières significatives pouvant transformer l’Afrique de l’Est.
Pourtant, des frontières artificielles et l’absence d’infrastructures transfrontalières fragmentent des marchés énergétiques qui devraient être interconnectés régionalement. Le continent a besoin de dirigeants visionnaires capables de penser au-delà des frontières nationales, favorisant le développement de réseaux régionaux de gazoducs pour optimiser le partage des ressources.
L’accord tripartite entre la CEMAC, l’APPO et le CABEF sur le projet CAPS est un exemple concret de cette vision pour l’Afrique centrale : établir des réseaux robustes et interconnectés de gazoducs pour améliorer l’approvisionnement en carburant, pallier les pénuries chroniques d’énergie et sécuriser l’accès à l’énergie fiable. Ces initiatives de coopération directe producteur-consommateur sont exactement ce dont l’Afrique a besoin.
Investir dans des solutions qui fonctionnent – et l’ironie des réticences des compagnies pétrolières
L’Afrique a besoin de capitaux destinés à des projets ayant un impact réel sur les populations défavorisées et stimulants la croissance économique. Pourtant, certaines compagnies pétrolières internationales (IOCs) et financiers internationaux avancent que les Africains ne peuvent pas se permettre d’acheter le gaz qu’ils proposent. Cette vision est trompeuse et ignore la réalité : l’Afrique paie déjà un prix bien plus élevé en important de l’énergie raffinée.
Cette énergie importée coûte chaque année des milliards de dollars en devises étrangères et alimente un cycle de dépendance économique délétère. Cet argent pourrait être mieux utilisé pour développer les infrastructures gazières locales, créer des emplois, favoriser l’industrie intérieure et instaurer une sécurité énergétique durable.
Le projet de raffinerie Dangote au Nigeria en est un exemple révélateur : investissement privé massif conçu pour transformer le pétrole brut localement, réduisant significativement la dépendance aux produits raffinés importés. Ce type d’initiative prouve que des projets énergétiques transformateurs, portés par une vision claire de la valeur ajoutée nationale, sont non seulement réalisables, mais profondément impactant.
Lorsque l’on compare l’Afrique aux régions développées qui lancent des projets d’infrastructures massifs — par exemple, un gazoduc de 44 milliards de dollars en Alaska pour transporter le gaz de l’Arctique vers le sud en vue d’une liquéfaction et d’exportation — la disparité devient flagrante. Si un tel investissement peut être justifié dans un contexte développé, pourquoi l’Afrique, riche en réserves et affamée d’énergie domestique, ne mérite-t-elle pas des investissements similaires dans des réseaux intégrés visant à sortir durablement de la pauvreté énergétique ?
Ignorer que les Africains ne peuvent se permettre le gaz proposé par les IOCs méconnaît le fardeau économique imposé par la dépendance énergétique extérieure et passe à côté du potentiel d’une révolution industrielle autocentrée. Investir dans ses infrastructures gazières, c’est passer d’un statut de simple exportateur de matières premières à celui de continent qui transforme, fabrique et innove, en retenant la valeur sur place.

Un appel pour la justice énergétique

L’avenir énergétique de l’Afrique ne se construit pas dans des salles de conférence élégantes, peu importe le nombre de participants. Il se construit à travers des initiatives comme le CABEF et un engagement continental pour valoriser et distribuer les abondantes ressources en gaz naturel.
Le continent est riche en gaz. Son esprit entrepreneurial est vif. Son besoin est urgent. Ce qu’il faut maintenant, c’est la volonté politique et l’expertise pratique pour aller au-delà des réunions et des belles promesses — vers le travail systématique de développement des ressources en amont, construction d’infrastructures gazières intermédiaires et distribution en aval vers les communautés qui en ont le plus besoin : pour l’énergie, l’industrie et l’emploi.
La signature du MoU tripartite CEMAC–APPO–CABEF pour le projet CAPS marque un tournant : des forums de l’énergie évalués non pas à l’aune de la qualité de leurs présentations, mais à celle des projets qu’ils génèrent. Où le succès se mesure en mégawatts livrés, en pipelines construits vers les sites industriels et miniers, et en communautés connectées à une énergie fiable.
Le temps de la discussion est révolu. Il est temps d’agir — rapidement, de façon experte et intégrée tout au long de la chaîne de valeur, en se concentrant sur le potentiel du gaz africain. Les populations africaines méritent des partenaires et des dirigeants prêts à transformer les promesses énergétiques en infrastructures gazières, et les infrastructures en énergie durable, prospérité industrielle et libération économique.
La prochaine conférence peut attendre. Mais pas les familles privées d’électricité ni les industries dépendantes du diesel coûteux.

Nathalie Lum
Chairwoman du CABEF