Washington D.C. – 18 juin 2025
Alors que des interdictions de voyage visant les ressortissants de plusieurs pays africains entrent en vigueur, et que la possibilité de nouvelles restrictions plane, le continent peine à forger des partenariats sincères avec la première puissance mondiale, au moment où il s’engage sur la voie cruciale de son émergence énergétique. Pour de nombreux pays africains, la notion même de sécurité énergétique reste un rêve lointain, freiné par des problèmes fondamentaux d’accès à l’énergie et d’infrastructures.
Dans ce contexte d’incertitude, il est plus que jamais crucial que les débats énergétiques mondiaux en cours, en particulier ceux menés sur des plateformes influentes comme le Atlantic Council Global Energy Forum, négligent pas une fois de plus le continent africain. Trop longtemps, ces discussions se sont concentrées sur les enjeux énergétiques des États-Unis, du Canada et de l’Union européenne, avec une attention récurrente portée au gaz naturel. Si ces préoccupations sont parfaitement légitimes, ignorer l’immense potentiel énergétique de l’Afrique, ses besoins de développement urgents et son importance géopolitique croissante serait une grave erreur. L’avenir de la sécurité énergétique mondiale, de la résilience climatique et de la stabilité géopolitique ne pourra être atteint sans une intégration pleine et entière de l’Afrique dans le débat énergétique mondial.
L’Afrique, en particulier sa région centrale, dispose de vastes réserves d’hydrocarbures et d’un potentiel considérable en énergies renouvelables. Pourtant, elle continue de souffrir d’une pauvreté énergétique aiguë, privant des centaines de millions d’Africains d’un accès fiable à l’électricité. Ce paradoxe illustre un profond déséquilibre dans les dialogues énergétiques mondiaux. Les discussions qui se tiennent dans des forums comme celui de l’Atlantic Council doivent activement corriger ce biais, en dépassant le prisme occidental pour embrasser une vision véritablement mondiale, où l’Afrique est reconnue comme un acteur clé, et non comme un simple observateur.
Le Atlantic Council commence lui-même à refléter une compréhension plus large. Les débats récents et les initiatives à venir montrent un intérêt croissant pour le concept de « puissance de l’océan Atlantique », qui englobe naturellement les ressources énergétiques et minières stratégiques de l’Afrique. La prise de conscience de la nécessité urgente de sécuriser les minéraux critiques, largement présents sur le continent, place les investissements dans les secteurs énergétiques et miniers africains au rang de priorité stratégique. Par ailleurs, la reconnaissance du déficit énergétique massif de l’Afrique et de l’impératif de financements importants pour une transition énergétique juste et inclusive s’accroît. Ces discussions doivent toutefois aller au-delà du simple constat, en débouchant sur des stratégies concrètes et des engagements réels qui placent les besoins et les voix africaines au cœur du processus.
Ce changement de perspective doit surtout être réciproque, en reconnaissant et en soutenant les initiatives proactives portées par les Africains eux-mêmes. Le Central Africa Business Energy Forum (CABEF) illustre parfaitement cette dynamique. Sous sa direction, le projet Central African Pipeline System (CAPS) n’est pas une simple ambition régionale, mais une feuille de route concrète pour transformer le paysage énergétique de l’Afrique centrale.
Pensé comme un réseau intégré de milliers de kilomètres de pipelines pour le pétrole, le gaz et le GPL, complété par des infrastructures essentielles (stations de pompage, terminaux de stockage, raffineries, centrales à gaz), le projet CAPS vise à résoudre durablement les pénuries chroniques d’énergie dans les États membres de la CEMAC. Cette initiative ambitieuse ne se limite pas à la fourniture de carburant : elle vise à poser les bases d’un développement industriel massif, à stimuler le commerce régional et à améliorer concrètement les conditions de vie de millions de personnes. En interconnectant physiquement les chaînes d’approvisionnement énergétique nationales et en favorisant des marchés harmonisés, CAPS deviendra un puissant moteur d’intégration économique et de stabilité régionale, dans une zone historiquement marquée par l’insécurité énergétique.
Dans le contexte politique actuel, mis en lumière en début d’article, des projets comme CAPS représentent une opportunité essentielle pour un engagement sincère entre l’Afrique et l’Occident. Investir dans les infrastructures énergétiques de l’Afrique centrale et soutenir sa voie vers l’abondance énergétique permettrait de :
- Rebâtir la confiance et favoriser les partenariats : Un soutien concret aux initiatives africaines permettrait de restaurer la confiance et de créer des partenariats mutuellement bénéfiques.
- Renforcer l’influence géopolitique : En s’engageant de manière constructive dans le développement d’infrastructures critiques, les nations occidentales peuvent proposer une alternative crédible sur la scène mondiale.
- Contribuer à la sécurité énergétique mondiale : En diversifiant la production et les infrastructures énergétiques mondiales, tout en répondant aux besoins de l’Afrique.
- Promouvoir la stabilité et la prospérité partagée : L’accès à l’énergie est une condition de base du développement humain. Une Afrique centrale stable bénéficie à l’ensemble de la communauté internationale.
- Sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques : Des infrastructures énergétiques fiables sont indispensables pour l’extraction et la transformation durables de ces ressources.
L’enjeu aujourd’hui est que les discussions du Atlantic Council et d’autres plateformes internationales incluent activement et de manière significative les voix et les priorités africaines. L’urgence des besoins énergétiques de l’Afrique, le potentiel de solutions africaines comme le projet CAPS, et la nécessité de partenariats authentiques doivent être au centre des débats. Ignorer l’Afrique serait non seulement une erreur morale, mais une faute stratégique majeure qui freinerait l’objectif commun d’un avenir énergétique mondial sûr et durable. Il est temps que l’Afrique cesse d’être une pensée secondaire pour devenir un acteur central et respecté de l’avenir énergétique mondial.
Nathalie Lum
Chairwoman du CABEF
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